Avec Michel Le Sage
Illustré dans un petit recueil de légendes par une photographie qui ne lui correspondait pas, censé se trouver « au bas du village », le lavoir de Rosnen semblait avoir disparu des cartes et des mémoires.
(Chant 15 : le lavoir perdu épisode I)
Michel Le Sage avait commencé à questionner autour de lui : non on ne se souvenait pas; requestionné : peut être que... on connaissait quelqu’un qui ; questionné encore : oui en effet là bas au fond des bois . A quel endroit ? Près de la source, proche de la grande pierre, au beau milieu des grands arbres.
Ici pas de grandes pierres romantiques, pas de belle construction attirant le regard mais plus simplement un trou d’eau rempli de mousses et de feuilles, le vague dessin d’un bassin encore empierré pour moitié, presque rien.
Presque rien.
Un poème.
« Ce retour aux endroits que seule la mémoire conserve reste toujours dans l’ordre du mythique, sauf si le poème est là. Le soir où je l’écris, même si toutes ces images d’enfance m’ont quitté depuis longtemps, j’arrive à les recouvrer sous la musique des mots. Par analogie, je pourrais parler d’un travail d’archéologue. Chaque poème, en effet, est un morceau de plus qui permet de retrouver une totalité que le temps a recouverte de ses flots noirs. C’est un sentiment très bref, qui dure le temps où il faut retrouver la langue natale – celle du poème, – et pendant lequel l’impression d’inventer chaque mot, de le créer à partir d’une innocence primordiale devient possible. »
Un chant dans l’épaisseur du temps, Nuno Júdice, Poesie Gallimard, Novembre 1996
– Que cherchez-vous ?
– Je voudrais pouvoir vous le dire sans mots.
– Comme on oublie ?
– Oui, comme parle l’oubli.
Le livre de l’oubli , Bernard Noël, POL 2002
Alors, semaine après semaine, Michel descendait la pente qui menait au jardin des totems, passait la barrière du bambou, longeait les murets du chemin creux, s’arrêtait parfois sur la grande pierre, traversait le bois, et inlassablement nettoyait le lavoir. Le lavoir à son tour lessivé , tel est pris qui croyait prendre, pour que l’on puisse enfin le voir. Désormais plus de bleu, plus de savon, plus de battoir : des pelles, des ratisseurs de feuilles, des balais-raclette, des mains d’archéologue, de poètes de l’oubli, mais toujours des rires et des conversations.
Bientôt, Gisèle, son épouse, des amis, des habitants se sont joints à lui . Des frères, habitants du village viennent alors témoigner qu’il y avait autrefois là une prairie dans laquelle ils gardaient les vaches:
Puis un jour de novembre, ce fut enfin mon tour d’arpenter le merveilleux chemin creux.
Le chemin que nous avions suivi n’était pas tout à fait celui qu’empruntaient depuis le village les lavandières d’autrefois, plus direct mais aussi plus pentu, et je ne pouvais m’empêcher de songer aux gestes aujourd’hui disparus, au poids du linge qu’il fallait ainsi descendre et surtout remonter mouillé.
Il y avait quelque chose d’étrange et de beau, en novembre 2021, à retrouver Michel Le Sage pour aller simplement voir ce trou d’eau ressuscité d’entre les feuilles et les mousses. Comme si, sans nostalgie aucune, nous étions là pour mesurer l’oubli et avoir surtout de la joie, celle d’avoir simplement trouvé, comme si nous étions nous aussi les « traducteurs de Cailloux » chers à Emmanuel Hocquard .
Pourquoi faire ?
Presque rien
Un poème.
Laveur d’eau
Je refuse que l’eau soit sujette à croupir.
Il est inadmissible, il n’est pas digne d’elle
De la voir s’envaser dans des stases mortelles,
S’embourber dans la mare et se mettre à sentir.
Ouvrier mécontent équipé de ses rimes,
Le poète impétrant qui est un laveur d’eau,
En déposant sa pierre au milieu du ruisseau,
Tâche de la remettre au courant qui l’anime.
Laveur d’eau, (extrait) Laurent Albarracin Contrebande, Le Corridor bleu 2021
Isabelle Baudelet pour Text’Styles 20 janvier 2022.
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