En écho au chant 14 de l’eau tissée des lavoirs et à la recherche des sons perdus :

« La grande lessive était une corvée d’importance pour les femmes. Comme toutes les besognes sérieuses, elle durait trois jours qui correspondaient dans l’ordre, au purgatoire, à l’enfer et au paradis.

Le premier jour, on entassait le linge dans d’énormes baquets de bois que l’on recouvrait d’une linsel skloagerez, sorte de drap de chanvre tissé très gros et donc poreux. Sur ce linceul, on répandait largement une couche de cendres préalablement tamisées avec soin. on faisait chauffer des chaudronnées d’eau et on jetait cette eau bouillante sur les cendres qui allaient tenir lieu de lessive à défaut de savon ou d’autres produits, alors inconnus ou trop chers. L’eau se chargeait de cendres et passait à travers le tissu grossier pour aller imprégner et détremper les linges à laver. On laissait la chimie faire son effet pendant la nuit.

Le jour suivant, on chargeait le tout sur une charette et on le conduisait au lavoir. Là, les femmes du village et des environs, armées de leur battoir, venaient apporter leur aide , à charge de revanche. Elles battaient le linge depuis l’aube jusque vers les quatre heures de l’après midi , sans autre chose dans le corps que la soupe maigre qu’elles avaient avalée avant de partir. Mais les langues ne cessaient pas d’aller bon train. A mesure que les affaires étaient décrassées dans un première eau, elles étaient jetées dans un second lavoir plus petit et plus propre. Quand c’était fini, une femme se dépouillait le bas du corps et descendait dans le lavoir, retroussées jusqu’aux reins, pour ramasser le linge et le tendre aux autres qui l’essoraient. Il y en eut plus d’une qui prit le coup de la mort pour s’être aventurée, suante, dans l’eau froide. Puis, la lessive était étendue sur le pré ou la lande voisine, de préférence accrochée aux bouquets d’ajoncs nains où elle séchait mieux qu’à plat, disait-on, où elle blanchissait mieux. Alors seulement on allait manger.

Le lendemain, une femme ou deux passaient la journée à surveiller le linge et à le retourner. Quelquefois, la cendre mal tamisée y avait laissé des taches malgré le travail des battoirs. Il fallait y remédier sous peine de perdre la réputation des lavandières.

Chaque village avait son lavoir , souvent double comme je l’ai dit. Il y en avait plusieurs autour du bourg , chacun d’eux au compte d’une « compagnie » qui y avait ses habitudes et se chargeait de l’entretenir. Les ruisseaux ne manquaient pas.

En Avril , on entendait retentir les battoirs dans les vallons. Quand les enfants demandaient quels étaient ces bruits et ces éclats qui les réveillaient de bon matin, on leur disait que c’était le Cavalier du Printemps qui arrivait sur son cheval pour ouvrir les fleurs, faire éclater les bourgeons, aider les plantes à sortir de terre et accomplir mille autres taches dont ils verraient les effets s’ils savaient se servir de leurs yeux. Peut-être même pourraient ils voir le Cavalier à condition de se lever avant le soleil et d’avoir dans la main une certaine graine dont on se disait pas trop bien ce que c’était. En Septembre , le même tapage recommençait, mais plus assourdi. Le Cavalier du Printemps s’en allait, la bonne saison était finie jusqu’au prochain appel du coucou.« 

Pierre-Jaquez Hélias, Le cheval d’Orgueil

Ail triquètre près du douet de Notre Dame du Val (lavoir à blanchir le lin)

Lavoir Sainte Anne / Plouguerneau

Le cavalier du printemps – La Fabrique Poétique (lafabriquepoetique.fr)

Isabelle Baudelet Segard