Autour de Lilia se composait mon eau-tissée. Je savais bien qu’il serait impossible en quelques jours de parcourir la constellation des lavoirs. Aussi je me fiais aux symboles attirants des cartes, et c’est un petit carré bleu, proche d’une croix indiquant une chapelle qui lança cette expédition.. peut être sur le chemin du Paradis.

Et Ulysse s’éloigna du port, par un âpre sentier, à travers les bois et les hauteurs, vers le lieu où Athéna lui avait dit qu’il trouverait son divin porcher, qui prenait soin de ses biens plus que tous les serviteurs qu’il avait achetés, lui, le divin Ulysse. Et il le trouva assis sous le portique ...

Odyssée, Chant XIV


C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Arthur Rimbaud, Le Dormeur du Val

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Notre Dame du Val, ou chapelle du Traon, fait partie de ces merveilles nichées discrètement en retrait d’un méandre de l’Aber Wrach . Elle date du XVIème siècle, et se trouve en contrebas de l’ancienne route reliant Plouguerneau à Lannilis. .

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Au pied de la chapelle : une fontaine, un lavoir, et un trou à rouir le lin (Poull-lin) appelé encore rouissoir, routoir ou douet en Bretagne.

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LA FONTAINE

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LE LAVOIR

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LE DOUET

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De ce lieu est né un chant qui dit les temps anciens :

CANTIQUE DE NOTRE DAME DU VAL TRAON

Chapel an Traoñ …
chapel an Dour !
Dour-eien ar feunteun
Da bareañ ar re glañv gwechall.
O vont er poull-bihan hag er poull bras
Da walc’hiñ an dilhad
Hag er poull-lin


Da aozañ d’ar gwiader
D’ober lien ha mezer
Dour ar ganol
O lakaat tro e rod ar milinoù
12 a oa amañ !
araok mont en Aber-Ac’h
e milin an aod.

Chapelle du Val

Chapelle de l’eau

L’eau de source jaillissant de la fontaine

Qui guerissait les maladies autrefois

Qui va au petit et au grand lavoir

Laver les vêtements

Et au douet (à rouir le lin)

Qui permet au tisserand

De tisser des toiles et du drap

Eau du chenal

Qui fait tourner les moulins

Il y en avait 12 ici

Avant d’aller à l’aber Vrac’h

Au moulin de la grève.

Merci à Alain Ollivier , Christian Levasseur et à Dom Barrot pour la traduction

Ainsi qu’ à Marie Dominique Pot

source : Notre Dame du Val – Plouguerneau d’Hier et d’Aujourd’hui

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Cette déclinaison de l’eau en trois usages (Lavoir, Fontaine, Trou à lin) associés à la chapelle et à son culte appelle en écho la dénomination des trois journées des Grandes Lessives d’autrefois : Le Purgatoire, l’Enfer et le Paradis

Une organisation méthodique, des gestes de femme, de la fatigue, toute une sociabilité, des symboles, un sens au coeur des vies passées s’orchestraient ainsi en trois temps :

Le « Purgatoire » : c’est le trempage à l’eau froide après le tri du linge qui se trouvait ainsi en attente de son sort comme au Purgatoire..
Venait ensuite « l’Enfer » : le lessivage proprement dit appelé le coulage. Le linge , empilé dans un cuvier, est recouvert d’un grosse toile sur laquelle est étalée une couche de cendre de bois, on verse ensuite sur le tout de l’eau bouillante. Cette opération est renouvelée plusieurs fois et le linge est remué. Les vapeurs qui s’élevaient ainsi ont donné le nom de cette journée.
Enfin venait le « Paradis« . Le linge une fois sorti du cuvier et refroidi, est alors transporté à la rivière ou au lavoir où les femmes procèdent alors au savonnage, au battage ou dégorgeage et au rinçage. Puis l’essorage à la main et éventuellement l’azurage afin de rendre le linge plus blanc. L’opération se terminait par le séchage à l’air libre sur l’herbe ou sur une corde, ou bien devant le feu. Le linge ayant retrouvé sa pureté originelle faisait le nom de Paradis.

Lessives d’autrefois et techniques de lavage – Esprit de Pays Dordogne-Périgord

« Les âmes des morts cherchent à se blanchir, et s’il existe un interdit de lessive pendant les périodes où elles circulent, c’est que, attirées par la bui qui blanchit, elles se précipiteraient dans le cuvier qui fait fonction de purgatoire — on dit qu’elles seraient tourmentées —, mais qu’en même temps, en se mêlant au linge des vivants, elles les entraîneraient dans la mort. En Bretagne, l’assimilation du lessivage au purgatoire est explicite : « La grande lessive était une corvée d’importance pour les femmes. Comme toutes les besognes sérieuses, elle durait trois jours qui correspondaient, dans l’ordre, au Purgatoire [jour du lessivage], à l’Enfer et au Paradis. » (Hélias, le cheval d’Orgueil 1975 p 14). Du purgatoire, le cuvier offre l’image matérielle : la grande cuve, énorme, ventrue, où s’opère la grande chimie purificatrice ; et le nouet de cendres a pour nom « charrier », du grec cathara qui signifie purification et même expiation.

Par-delà un certain symbolisme chrétien de la purification, le lessivage offre donc l’image du passage de la vie à la mort, passage dont l’eau serait le véhicule, et l’image, on va le voir, joue dans les deux sens : faire passer de vie à trépas, mais aussi faire venir au monde comme si l’enfant devait également passer par l’eau — « Les enfants arrivent comme l’eau », dit la Vieille à Yerma, la femme stérile (Lorca 1953 : 163). De ce double passage la laveuse serait le guide.

Symétriquement, en Haute-Bretagne, « les malades d’une maison où on fait la lessive sont exposés à mourir » (Paul Sébillot  Légendes et curiosités des métiers, Paris, Flammarion. Shorter E., 1977. Naissance de la famille moderne, xviiie-xxe siècle, Paris, Ed. du Seuil. p 11). Couler une lessive auprès d’une femme enceinte c’est donc précipiter son accouchement, comme couler une-lessive auprès d’un malade c’est hâter sa mort. À Minot, une des images employées pour dire qu’un enfant vient de naître est : « l’enfant est coulé », il est passé, il est né.

Laver apparaît donc, au moins dans l’image technique de la phase du coulage, comme un acte chargé d’efficacité symbolique, opératoire des deux grands passages : lessive psychopompe signalée à Minot par un interdit de lessive rejeté dans le passé et appelé superstition ; et, en ce qui concerne la naissance, simple usage du terme « couler » pour signifier le passage. Mais l’eau comme élément matériel du Destin et les femmes qui fréquentent les lavoirs comme présidant à ce Destin, sont en ce pays des représentations plus fortes, plus sensibles, attachées à la seconde phase de la lessive, celle du rinçage, inscrites dans les lieux mêmes, au lavoir, à la fontaine. »

Yvonne Verdier, La laveuse, Une campagne voisine, Minot, un village Bourguignon, collection Ethnologie de la France

Dans ces terres entre lavoirs et phares, entre l’eau douce pour le linge et l’eau salée des marins, le vocabulaire de l’eau-de-là scande les étapes en trois mêmes royaumes:

Pour les gardiens des phares, ces « feux de la mer », aussi les repères étaient Le Purgatoire, L’enfer et le Paradis.

Le Paradis est un phare construit sur la côte, ou dans un estuaire parfois à proximité d’un village. Pas de difficulté pour y vivre, le plus souvent en famille. Seule contrainte, commune à tous les phares, gravir les nombreuses marches pour accéder à la lanterne.

Le Purgatoire est un phare construit sur une île, plus ou moins éloignée du continent. Mais si la solitude existe, il y a moyen de se rendre régulièrement sur terre pour y retrouver ses congénères et faire quelques emplettes.

L’Enfer est lui placé sur une île beaucoup plus lointaine, voire en pleine mer sans île autour. Voilà notre gardien isolé pour plusieurs semaines, voire plus que ce qui est prévu lorsque les éléments se déchaînent.

Les feux de la mer – 1948 – Jean Epstein (sous-titres EN) – YouTube

Non loin du lavoir de Notre Dame du Val Traon, se trouve un Paradis : le phare de Lanvaon, balise de l’estuaire au beau milieu des terres :

Un peu plus loin, au large, un Purgatoire : le phare de l’ïle Vierge

L’Enfer le plus proche se situe entre Ouessant et Molène : le phare de Kéréon.

Elle est retrouvée !
Quoi ? l’éternité.
C’est la mer mêlée
     Au solei
l.

Arthur Rimbaud, Une Saison en Enfer

Photographies ©Isabelle Baudelet Segard sauf photographie du phare de Kéréon