Cela fait désormais un an que le projet de l’eau tissée des lavoirs est lancé. 

Cette eau-dyssée a pris sa source dans la Canche à M sur m, et dans le village de Sainte Austreberthe, s’est écoulée jusque Paris, Hecq et Préseau proches de Valenciennes, Roche dans les Ardennes, Vervins dans l’Aisne, Noailles dans le Beauvaisis.

Le dixième chant dont je vais vous faire le récit aujourd’hui est une plongée, comme à chaque fois, dans les cartes et les paysages oubliés mais aussi dans les documents et les mots, c’est aussi une boucle text’styles comme je les aime : un retour dans une région de Normandie, destination de ma première navette Text’styles en septembre 2016 à la rencontre Marie France Dubromel.

 

Marie France Dubromel, artiste, plasticienne et Mercière ambulante.  publia sur son blog plusieurs photos d’un lavoir, avec pour seule légende :

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©Marie France Dubromel

Ces quelques mots, cette simple phrase éveillèrent immédiatement ma curiosité. J’interrogeai Marie-France qui accepta de me faire le récit de ses souvenirs d’enfance au lavoir. Sa description de la lessive n’étaient pas sans me rappeler mes propres souvenirs de petite fille autour de la lessiveuse chez ma grand mère Marie-Thérèse et son attirance pour la « patouille » dans l’eau me semblait toute proche de la mienne au même âge et sans doute encore aujourd’hui…..

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Baignade dans la Canche été 2019 photographie ©O

 

 

 

 

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Quatorze années plus tard, je faisais le voyage, marchant dans les pas de Marie-France Dubromel..Le 15 janvier 2020, je me retrouvais donc à Bazoches-au-Houlme, connu aussi pour être le lieu de naissance de l’écrivain Remy de Gourmont. Je ne tardais pas à trouver le lavoir en contrebas du village,

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IGN 1950 Site géoportail
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Carte d’état major (1820-1866) site géoportail

 

 

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Quelqu’un tisse de l’eau (avec des motifs d’arbres
en filigrane). Mais j’ai beau regarder,
Je ne vois pas la tisserande

ni ses mains même, qu’on voudrait toucher.

Philippe Jaccottet

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J’y retrouvais, intacts, les lieux décrits par Marie-France : la pente, l’eau glacée, la fontaine à « patouille ». Un écriteau indiquait encore « l’interdiction de vider les cendres de la lessive dans le lavoir ». Mais aujourd’hui, dans ce lieu complètement désert, plus personne autour de moi, plus de lavandière, ni de « femme de journée » pour raconter le chemin de la lessive. La lettre de Marie-France, l’écriteau conservé dans le lavoir me servaient de guides : faire bouillir le linge dans la lessiveuse, la transporter au lavoir, frotter, laver, battre le linge…autant de gestes oubliés.. Tissus, mains, noués dans l’eau glacée. Dans son récit je m’étais arrêtée sur ce mot particulier: le carrosse.

Il y a décidément quelque chose qui relève des contes dans ces histoires de cendre (illon) et de carrosse.

Le carrosse dont il est question est ici représenté de façon romantique par le peintre américain, Daniel Ridgway Knight :

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Daniel Ridgway Knight (1839-1924) lavandières au ruisseau

« Pas de valets de pied, ni de cheval pour cet objet : le carrosse de lavandière est une simple caisse en bois, d’allure rustique mais toutefois pratique car elle permettait à la lavandière de se tenir à genoux devant le lavoir, sans mouiller sa robe.
Le carrosse est aussi une protection pour les genoux car la lavandière était à genoux lors de la lessive. Pour ce faire, le fond du carrosse était tapissé de paille ou de foin, de morceaux de chiffons ou de tissus ou encore garni d’un coussin de plumes, pour rendre la posture moins douloureuse.

Le carrosse était calé sous la pierre à laver du lavoir. Un astucieux petit rebord, droit ou incliné, situé sur le haut du carrosse permettait de caler la planche à laver depuis le fond du bassin du lavoir ou sur la rive de la rivière, une partie de la planche à laver dans l’eau, l’autre immergée. Il pouvait aussi être doté d’une prise évidée sur la face principale, permettant ainsi de le saisir et de le transporter. »

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Images et textes extraits du site « objets d’hier »

La cendre rappelée à nos mémoires par cette phrase presque étrange sur l’écriteau du lavoir est en quelque sorte la première des lessives depuis l’antiquité, elle figure toujours dans les « recettes de grands-mères » pour fabriquer aujourd’hui encore une lessive soi-même :

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Extrait du site https://www.grands-meres.net/faire-de-la-lessive-a-la-cendre/

Dans les lettres que nous échangeâmes, Marie-France Dubromel poursuivit ses souvenirs de lavoir en lavoir et m’évoqua le travail d’Annie Cahagniet « une très chère amie, ancienne professeur de Lettres, brodeuse d’exception et patcheuse qui m’avait écrit, sur un mouchoir ancien, en 2002, son « histoire de vécu » des lavoirs de son enfance. » 

Histoires de vécu est une installation créée par Marie France Dubromel et présentée pour la première fois en 2001 pour « Qu’est-ce qui se trame ? » à la Chapelle St Vigor-de-Mieux. ST MARTIN-DE-MIEUX.

Histoires de vécu : https://mercerieambulante.typepad.com/mercerieambulante/2018/10/in-situ.html

Puis en 2002 à Melle, ville natale d’Yvonne Verdier, dans le cadre d’une célébration de sa mémoire.

https://mercerieambulante.typepad.com/mercerieambulante/2018/09/yvonne-verdier.html

Ainsi notre correspondance s’enrichissait d’une nouvelle lettre, une lettre sur mouchoir, une histoire dans l’histoire dans l’histoire, telle une source infinie.

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©Annie Cahagniet pour Histoires de vécu, Marie France Dubromel, 2002
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©Annie Cahagniet pour Histoires de vécu, Marie France Dubromel, 2002
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©Annie Cahagniet pour Histoires de vécu, Marie France Dubromel, 2002

 » Petite parisienne, j’allais en vacances à la campagne dans une Normandie que j’ai longtemps crue plate puisque le village de Cauvicourt se situe dans la plaine de Caen. Grimpée sur le mur qui entourait le jardin de l’ancien presbytère où habitait Mémère Madeleine, je regardais les blés onduler à l’infini. Mémère Madeleine dans son éternelle blouse de deuil noire et ses tabliers à petite fleurs violettes et grises devait avoir mon âge d’aujourd’hui, cinquante ans, et pourtant c’était une femme âgée. Mais alerte, et bonne, et douce. Elle lavait le linge des gens du village au lavoir du pays et elle m’emmenait avec elle dans la chaleur de l’été. Je n’avais pas toujours droit à la caisse de bois où il fallait s’agenouiller dans la paille ou les chiffons qui allégeaient la meurtrissure. Elle dénouait un balluchon, drap usagé ou grand tablier noir, et elle commençait à savonner, à taper le linge, et avec cette dextérité que j’admirais, à le rincer à l’horizontale d’un coup de poignet dans l’eau. « Tiens prends les moucheux et frotte », et consciencieusement je l’imitais. Et je laissais trainer les mouchoirs dans l’eau froide où mes mains se ridaient. Mais aussi, quelle surprenante brûlure quand mon geste semblable au sien, savonnait et frottait le linge sur le dessus de ma main gauche ! »

Aujourd’hui c’est moi qui avais (presque) cinquante ans et me retrouvais à Cauvicourt sur la route de mes vacances à Saint Malo. En entrant dans ce village, je regardais l’image de la carte postale conservée par Annie et représentant le lavoir de Mémère Madeleine:

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Lavoir de Cauvicourt . Collection particulière Annie Cahagniet

Le lieu est très simple à trouver en entrant dans le village : on ne devait voir que lui en plein cœur de Cauvicourt. Mais il ne subsiste plus aujourd’hui qu’un simple nom sur un panneau indicateur: place de l’ancien lavoir. C’était pour moi la place de mémère Madeleine;

 

 

 

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Carte d’état major (1820-1866) site géoportail

 

« Plus tard quand le lavoir a disparu pour laisser place à des voitures en stationnement, je la voyais encore sortir du tablier-balluchon nos affaires à laver dans la cuvette blanche émaillée liserée de bleue et me dire : « Ne jette pas, c’est de la bonne eau, frotte tes culottes ! »

Ecrit Annie sur le mouchoir…

Et son récit se poursuit, mon eau-dyssée aussi.

 » Avant la fin de l’été je faisais un séjour chez sa fille Marie à Falaise, c’était une maison dans les champs et avant d’y arriver, après avoir descendu toute la côte Saint Laurent, en face d’une épicerie, on trouvait un lavoir sur une rivière vigoureuse et je garde en mémoire, les images de draps se gonflant par endroits, emportés par le courant, grandes trainées blanches, boursouflés dans l’écume, accrochés parfois aux affleurements de pierre. »

Une eau tissée.

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Carte d’état major (1820-1866) site géoportail

 

Falaise est le lieu de naissance de Guillaume le conquérant, fils de Robert Le Magnifique et d’Arlette de Falaise. Ils se sont rencontrés, dit la légende, alors qu’ils avaient 17 ans. Robert de retour d’une chasse à cheval et Arlette …….lavant son linge dans la rivière au lieu-dit aujourd’hui « la fontaine d’Arlette ».

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Et au pied du château …. la venelle des lavandières..

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Reprenons la côte Saint Laurent pour nous rendre au « lavoir sur la rivière vigoureuse« .

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Carte d’état major (1820-1866) site géoportail

 

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« C’est là bas que j’ai entendu cette anecdote de lessive qui me revient. La dame qui racontait se souvenait que, petite fille, on l’avait envoyée au lavoir nettoyer ses bas ou chaussettes. En revenant, elle les montre à l’aïeule qui les examine et la renvoie recommencer sans explication. Elle est repartie les frotter autant de fois qu’il a fallu avant de comprendre qu’elle devait les retourner. Que de mystères, pourquoi ne pas mettre de mots là où les gestes se transmettent mais ne se devinent pas ? »

Annie pour Marie France le 29 septembre 2002

Annie, en écrivant ses histoires de vécu sur le mouchoir pour l’installation de Marie France à Melle en 2002, ne savait pas que ce lavoir de Falaise faisait aussi partie, par ces hasards qui n’en sont jamais vraiment, de l’histoire de Marie-France :

« Après avoir fait un grand tour des mairies de l’Orne, ma mère termina sa carrière de secrétaire générale de Mairie, à Falaise dans le Calvados, à 10 km de Bazoches où nous avions vécu, 20 ans plus tôt.

Elle venait de s’y installer, lorsque je me suis mariée, en 1970.
Pour mon mariage, Elle fit laver les draps de mon trousseau, « à la cendre », au lavoir de Falaise par une laveuse professionnelle. »

Marie-France

 

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Les « lavandières » Marie-France Dubromel et Annie Cahagniet; Montage photographique Marie-France Dubromel

 

Ainsi s’achève, pour le moment, ces boucles d’eau tissée de cendres en cendres et de lavoir en lavoir, au « point d’ancrage des petits bonheurs de l’enfance « . Et pendant que je suivais le chemin des lessives le long d’une eau-dyssée toute en correspondance, le ciel sombre , gris et chargé de pluie à mon arrivée passait comme miraculeusement « au bleu »…

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sur la route de Bazoches au Houlmes 15 janvier 2020
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Sur la route de Cauvicourt 15 janvier 2020

« Que mon conte soit beau, qu’il se déroule comme un long fil », Le Grain magique, Taos Amrouche

Isabelle Segard-Baudelet pour l’eau tissée des lavoirs le 24 janvier 2020

avec d’infinis remerciements à Marie-France et Annie pour ce voyage dans les mots, les gestes et les lieux du linge et de la lessive.

Photographies Isabelle Segard- Baudelet sauf mention particulière

 

A la lecture de ce chant Marie -Thérèse Weal, écrit ce message :

« Extrêmement touchants, vos tissages d’amitiés et de souvenirs, mes chères Isabelle et Marie-France. En guise de remerciement, ci-joint, le lavoir de mon adolescence, dont le silence a toujours consonné avec celui d’une église. Il se trouve à Druyes-les-belles-Fontaines, dans l’Yonne. »

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Photographie ©Marie-Thérèse Weal

A suivre….