Se rencontrer devant une toile après l’heure de fermeture du musée, et y tisser des liens autour des textes et des tissus marins ..C’était le programme du café Text’Styles #8 au musée Opale Sud de Berck sur mer..

C’est avec elle que nous avions rendez-vous :

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Madame Tattegrain peinte par son époux, Francis Tattegrain (1852-1915), sur un bateau berckois en tenue élégante, gants et ombrelle, un œil sur son fils Robert en vêtements de l’époque qui ne distinguaient pas à cet âge les filles et les garçons, comme nous le rappelle André Lhoer…

Et sur le tissu de la robe, au milieu des cordages : un livre…

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Que lit-elle ?

J’ai imaginé pour ce soir que, sur cette plage paisible en 1884, elle s’était plongée dans l’Odyssée d’Homère et que vous venions la surprendre au moment du chant V, alors qu’elle s’apprêtait à lire l’épisode du « Radeau d’Ulysse », c’est à dire le moment où les dieux lui accordent de pouvoir rentrer chez lui et demandent à Calypso, auprès de laquelle il est resté 7 ans, de l’y aider..

Un texte tout en tissu et voiles…

« De son berceau de brume, à peine était sortie l’Aurore aux doigts de roses, qu’Ulysse revêtait la robe et le manteau. La Nymphe se drapa d’un grand linon neigeux, à la grâce légère ; elle ceignit ses reins de l’orfroi le plus beau ; d’un voile retombant, elle couvrit sa tête, puis fut toute au départ de son grand cœur d’Ulysse. Tout d’abord, elle vint lui donner une hache aux deux joues affûtées, un gros outil de bronze, que mettait bien en mains un manche d’olivier aussi ferme que beau ; ensuite elle apporta une fine doloire et montra le chemin vers la pointe de l’île, où des arbres très hauts avaient poussé jadis, aunes et peupliers, sapins touchant le ciel, tous morts depuis longtemps, tous secs et, pour flotter, tous légers à souhait. Calypso lui montra cette futaie d’antan, et la toute divine regagna son logis. Mais lui, coupant ses bois sans chômer à l’ouvrage, il jetait bas vingt arbres, que sa hache équarrit et qu’en maître il plana, puis dressa au cordeau. Calypso revenait : cette toute divine apportait les tarières.
Ulysse alors perça et chevilla ses poutres, les unit l’une à l’autre au moyen de goujons et fit son bâtiment. Les longueur et largeur qu’aux plats vaisseaux de charge, donne le constructeur qui connaît son métier, Ulysse les donna au plancher du radeau ; puis, dressant le gaillard, il en fit le bordage de poutrelles serrées, qu’il couvrit pour finir de voliges en long ; il y planta le mât emmanché de sa vergue ; en poupe, il adapta la barre à gouverner; alors de claies d’osier, ayant contre la vague ceinturé le radeau, il lesta le plancher d’une charge de bois. Calypso revenait ; cette toute divine apportait les tissus dont il ferait ses voiles : en maître encore, il sut les tailler, y fixer les drisses et ralingues ; il amarra l’écoute ; enfin, sur des rouleaux, il mit le bâtiment à la vague divine.
Au bout de quatre jours, tout était terminé. Calypso, le cinquième, le renvoya de l’île : elle l’avait baigné et revêtu d’habits à la douce senteur; elle avait mis à bord une outre de vin noir, une plus grosse d’eau et, dans un sac de cuir, les vivres pour la route, sans compter d’autres mets et nombre de douceurs ; elle avait fait souffler la plus tiède des brises, un vent de tout repos… Plein de joie, le divin Ulysse ouvrit ses voiles.
( …)
Dix-sept jours, il vogua sur les routes du large; le dix-huitième enfin, les monts de Phéacie et leurs bois apparurent : la terre était tout près, bombant son bouclier sur la brume des mers.
Or, du pays des Ethiopiens, remontait le Seigneur qui ébranle le sol. Du haut du mont Solyme, il découvrit le large : Ulysse apparaissait voguant sur son radeau. La colère du dieu redoubla dans son cœur, et, secouant la tête, il se dit à lui-même :
POSIDON. — Ah! misère! voilà, quand j’étais chez les Ethiopiens, que les dieux, pour Ulysse, ont changé leurs décrets. Il est près de toucher aux rives phéaciennes, où le destin l’enlève au comble des misères qui lui venaient dessus. Mais je dis qu’il me reste à lui jeter encor sa charge de malheurs !
A peine avait-il dit que, prenant son trident et rassemblant les nuages, il démontait la mer et, des vents de toute aire, déchaînait les rafales ; sous la brume, il noyait le rivage et les flots ; la nuit tombait du ciel ; ensemble s’abattaient l’Euros, et le Notos, et le Zéphyr hurlant, et le Borée qui naît dans l’azur et qui fait rouler la grande houle.
Ulysse alors, sentant ses genoux et son cœur se dérober, gémit en son âme vaillante (…)
Un grand flot le frappait : choc terrible ! le radeau capota : Ulysse au loin tomba hors du plancher ; la barre échappa de ses mains, et la fureur des vents, confondus en bourrasque, cassant le mât en deux, emporta voile et vergue au loin, en pleine mer. Lui-même, il demeura longtemps enseveli, sans pouvoir remonter sous l’assaut du grand flot et le poids des habits que lui avait donnés Calypso la divine. Enfin il émergea de la vague ; sa bouche rejetait l’acre écume dont ruisselait sa tête. Mais, tout meurtri, il ne pensa qu’à son radeau : d’un élan dans les flots, il alla le reprendre, puis s’assit au milieu pour éviter la mort et laissa les grands flots l’entraîner ça et là au gré de leurs courants… Le Borée de l’automne emporte dans la plaine les chardons emmêlés en un dense paquet. C’est ainsi que les vents poussaient à l’aventure le radeau sur l’abîme, et tantôt le Notos le jetait au Borée, tantôt c’était l’Euros qui le cédait à la poursuite du Zéphyr.
Mais Ino l’aperçut, la fille de Cadmos aux chevilles bien prises, qui, jadis simple femme et douée de la voix, devint au fond des mers Leucothéa et tient son rang parmi les dieux. Elle prit en pitié l’angoisse du héros, jeté à la dérive ; sous forme de mouette, elle sortit de l’onde et, se posant au bord du radeau, vint lui dire :
INO. — Contre toi, pauvre ami, pourquoi cette fureur de l’Ébranleur du sol et les maux qu’en sa haine, le plante Posidon ? Sois tranquille pourtant ; quel que soit son désir, il ne peut t’achever. Mais écoute-moi bien : tu parais plein de sens. Quitte ces vêtements ; laisse aller ton radeau où l’emportent les vents, et te mets à la nage ; tâche, à force de bras, de toucher au rivage de cette Phéacie, où t’attend le salut. Prends ce voile divin ; tends-le sur ta poitrine ; avec lui, ne crains plus la douleur ni la mort. Mais lorsque, de tes mains, tu toucheras la rive, défais-le, jette-le dans la vague vineuse, au plus loin vers le large, et détourne la tète !
A peine elle avait dit que, lui donnant le voile, elle se replongeait dans la vague écumante, pareille à la mouette, et le flot noir couvrait cette blanche déesse. (…)
Sous sa poitrine, en hâte, il étendit le voile et, la tête en avant, se jetant à la mer, il ouvrit les deux mains pour se mettre à nager. (..) »

Et si nous allions retrouver Ulysse ou du moins une figure qui lui ressemble… remontant de l’eau sur le rivage des Phéaciens..?

 

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La ramasseuse d’épaves, Francis Tattegrain.

Sur le sujet voir : https://textstyles.blog/2017/08/04/la-ramasseuse-depaves/

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Pour se remettre de nos émotions, André nous a préparé un bon thé…

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Colette Martel nous a fait partager ses recherches sur la marinière , le caban et la vareuse, ainsi que la découverte d’un très bel ouvrage d’Alain Rey : le voyage des mots.

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Olivier Segard nous fit une lecture « text’styles » de Moby Dick..

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Puis de fil en aiguille, d’écume en écume…les souvenirs, les mémoires, les richesses se sont déployés et parmi les nombreux participants, des liens, des correspondances très belles se firent..

  • La vie dure des marins et leur identité en point de laine furent évoqués par Eloïse Barrère qui nous expliqua qu’en Hollande chaque village de pêcheurs avait son « point » de laine pour les tricots de ses marins, à tel point qu’en cas de naufrage c’est ainsi que l’on reconnaissait la provenance des victimes.

 

  • Nous avons appris également grâce à Robert Magnier, en correspondance avec un tableau du musée, que le bonnet typique berckois avec cotés rabattables sur les oreilles s’appelle le « Balidar »..

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(merci Yves pour la photo de ce tableau)

  • Puis d’Odyssée en Eau tissée nous fûmes plongés par Maryvonne Legrand dans la légende originelle de la création des tissus ikaté d’Ouzbekhistan

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Et pendant ce temps, Alban, notre plus jeune participant, cherchait parmi les toiles le radeau d’Ulysse……

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Immense merci..

à Yannick Courbès, directeur du Musée Opale Sud pour son soutien dans ce projet

à André Lhoer, guide et médiateur du musée pour son accueil chaleureux et ses récits sur les toiles de Francis Tattegrain

à tous les participants venus tisser des liens autour des textes et des tissus..

Je vous donne rendez-vous le 23 janvier à 18 heures au bar des Hauts de Montreuil pour un nouveau café Text’Styles sur « Le vêtement dans la littérature »..A vos textes ou à vos tissus et au plaisir de se revoir ou de faire connaissance avec de nouvelles personnes… A suivre sur ce blog ou sur la page Faceboock Text’Styles

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Isabelle Segard-Baudelet, le 21 décembre 2019, pour Text’Styles