« Would you tell me, please, which way I ought to go from here? »                                       « That depends a good deal on where you want to get to, » said the Cat.

 

  « Dites-moi, je vous prie, de quel côté faut-il me diriger ? »                                               « Cela dépend beaucoup de l’endroit où vous voulez aller, » dit le Chat.

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Alice au pays des merveilles, Lewis Carroll

 

Maria Walker cherchait au hasard, sans véritable idée précise, des matériaux pour ses créations dans une boutique d’Antiquité du Cheshire..Quel chemin allait-elle prendre? Ce jour-là, c’était en 2006, elle n’était pas en quête de tissu mais souhaitait trouver quelque chose comme des vieux papiers ou des timbres sur lesquels elle puisse travailler dans ses oeuvres textiles. Son travail artistique se concentrait sur les objets de mémoires, les traces apparemment insignifiantes laissées par des gens ordinaires, la vie quotidienne des ouvriers, des femmes, des personnes souvent négligées par l’histoire. L’utilisation du fil, du tissu, de la broderie, et d’autres assemblages permettait à Maria Walker d’interpréter ces objets et de leur redonner vie.

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©Maria Walker

 

Ce jour là, dans ce magasin d’antiquité du Cheshire, elle découvrit un vieux paquet de lettres dont elle fit immédiatement l’acquisition pour quelques livres. Sans le savoir, Maria Walker se trouvait au commencement d’un voyage « text’styles » hors du commun.

1photographie extraite du blog textilestories 

 

Le ruban de satin rose entourant soigneusement papier et écriture indique combien ces documents étaient précieux pour la personne qui les possédait et c’est toujours émouvant, quand on se trouve face à ce genre de document, de défaire le noeud et de commencer à lire. Ces lettres étaient adressées à une jeune femme : Frances Lightfoot qui dans les années 20 avait quitté sa famille pour vivre à Manchester avec sa tante. Il s’agissait d’une famille ouvrière. Les parents de Frances : Ada et Peter, mais aussi ses frères, Willie, Peter et Vincent et ses deux petites soeurs, Ada et Dorothy lui écrivaient leur vie quotidienne, les repas, les potins du quartier, les visites chez le dentiste, les étangs gelés, les fêtes de Noël, les élections de 1923, la réparation des bottes et les lessives épuisantes et la difficulté de faire sécher le linge pour Ada…

Devant ces extraordinaires morceaux d’histoire ordinaire, Maria Walker a vite abandonné l’idée de découper les phrases et les timbres. Elle s’est mise à travailler sur les échos que ces récits déclenchaient en elle,les liens avec sa propre histoire, celle de sa famille.. Elle a commencé à composer des oeuvres entre écriture, photographies personnelles, fils, tissus. Il lui fallait des visages pour redonner vie à ces lettres. Elle utilisa la photographie de sa propre mère prise en 1925. Elle réalisa des collages numériques avec l’écriture des lettres scannées et des morceaux de tissu, pour représenter Dorothy dont Ada dit dans une lettre à Frances  « qu’elle était ravie de la photo d’elle avec sa robe »; ou encore des photos des grands mères de son mari pour illustrer « the washing gets me down » et les récits d’Ada au sujet de la corvée de lessive, les difficultés du séchage.

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5a            ©Maria Walker

Ce travail a été exposé en 2010 au Macclesfield Museum, au sud de Manchester. Elle fut alors repérée pour un travail d’artistes en résidence dans le Cheshire mélangeant couture et poésie. Elle y rencontra l’écrivain  Angela Topping dont l’univers poétique lui paru immédiatement proche de son travail. Les poèmes d’Angela faisaient référence aux machines à coudre, aux tricots, aux gants et aux robes. Elles ont décidé de travailler ensemble. Angela écrivit un poème évoquant le travail de Maria:

 

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Angela Topping extrait du blog textilestories 

Et Maria utilisa l’extrait d’un poème d’Angela pour compléter un travail inachevé :  un collage représentant sa grand-mère en train de coudre avec une machine Singer. Elle y broda le premier vers de « Paper Pattern » écrit par Angela : « Make me a dress the colour of the sky just after a june sunset. »

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Fais moi une robe couleur du ciel après un coucher de soleil de juin

                        ©Maria Walker

 

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Elle décidèrent de se revoir pour continuer de travailler ensemble, et Maria voulait présenter à Angela son travail sur les lettres. Angela remarqua le nom de « Lightfoot », ce qui lui sembla étrange car c’était précisément son nom de jeune fille. En les lisant elle découvrit qu’il était fait mention de sa ville natale : Widnes, et de stupéfaction en stupéfaction,  vit apparaître le nom de son père, de ses grands parents et de ses oncles et tantes. Frances était sa tante !

Il est aisé d’imaginer l’émotion et la stupeur des deux artistes. N’en revenant pas moi même en découvrant cette histoire je me suis permise de redemander à Maria Walker -que je remercie pour sa patience-  si les choses s’étaient bien déroulées ainsi.

J’aime ces phrases d’Angela Topping décrivant ce moment particulier :

« We stand awed, making webs intricate as old lace,beautiful as buttons, miraculous as bread. She has already used my words to embroider on her art, but I was the follower. The letters came before me into her work. They have travelled through time and space to find me, tied with pink ribbon, bringing me my father, lost so long ago. » 

que je traduirais par quelque chose comme : « Entre stupeur et émerveillement nous prenions progressivement conscience de ces liens aussi complexes qu’une dentelle ancienne, aussi beaux que des boutons, et miraculeux comme le pain. Les mots de mon poème étaient déjà venus broder une de ses oeuvres. Les lettres m’avaient précédée dans son travail, elles avaient voyagé à travers le temps et l’espace pour me retrouver, entourées d’un ruban rose et me rendre ainsi mon père disparu depuis si longtemps. »

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Lettre de Peter Lightfoot (le père d’Angela Topping) à sa soeur Frances , extrait du blog d‘Angela Topping

 

Heirlooms / Trésors de famille

For this family no precious objects,

collections to be loaned to museums

or passed down as heirlooms.

Scarce enough money sometimes

to put food on the scrubbed table

or buy corduroys for the boys

to cover their bare bums from trousers

worn too thin for decency.

Yet on the surprising tide

some treasure is brought to shore.

What strange waves brought to me

this package of well-thumbed letters?

Paper is worn to silk, envelopes torn

by eager fingers when they first arrived

bringing news from home.

Some are written on paper torn

from schoolbooks, or written on the backs

of things no longer needed:

no notepaper to speak of in the house.

Angela Topping 

 

 

Maria put alors reconstituer l’histoire et travailler à partir de vraies photos.

Le grand-père d’Angela Topping, Peter Lightfoot (1880-1968) travaillait à la savonnerie Gossages, située canal Sainte Hélène à Widnes. Sa grand-mère était Ada née Woodward (1882-1933). Elle souffrait d’asthme et mourut à seulement 51 ans, dix ans après l’écriture des lettres.

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Collection personnelle Angela Topping.

 

 

Ils eurent 7 enfants dont un petit Peter mort à la naissance:

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©Maria Walker : http://marieantoinettescorset.blogspot.fr/2011/07/poignant.html

Le père d’Angela, fut appelé Peter également, il avait 12 ans  au moment des lettres et Frances vivait avec sa tante à Manchester, où elle travaillait très probablement.

Maria Walker et Angela Topping travaillèrent alors à un projet d’exposition réunissant l’art textile et l’art poétique. La première exposition intitulée « The lightfoot letters » eut lieu en 2011.

http://visualartscheshire.blogspot.fr/p/photos.html :

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Récit du patinage

http://visualartscheshire.blogspot.fr/p/photos.html

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      ©Maria Walker- La toux d’Ada est très présente dans les lettres. Maria réalisa cette étiquette pour une bouteille de Sirop… « Et la toux traversa la maison », extrait d’un poème d’angela Topping

http://marieantoinettescorset.blogspot.fr/2011/07/her-cough-gusted-through-house.html

Maria souhaita approfondir le thème du linge, et de la lessive également très présents dans les lettres. Pour essayer de retrouver des vêtements semblables à cette époque, elle se documenta à partir du livre d’Agnès Walker (!!), Manual of needlework and cutting out , 1898.

A consulter en ligne ici : https://archive.org/details/krl00366374

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  ©Maria Walker

http://marieantoinettescorset.blogspot.fr/2011/03/text-and-garments.html

Et parmi toutes ces pièces, ces morceaux d’histoires, d’un quotidien ordinaire d’une famille ouvrière, une lettre est particulièrement émouvante :

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Retranscrite ici entièrement par Angela sur son blog :

19 Russell Street

Farnworth

Widnes

Dear Frances

We’re very pleased to have your letter on Thursday morning. We have been waiting and watching for the postman every day for ages. It does seem a long time since you wrote. I slept all night till 5 o’clock in the morning for the first time since you went away. You know how I do trouble over things I have not had you out of my thoughts night or day and you may know how I miss your presence at home. Doesn’t a pussy cat even cry if one kitty is lost? Is not a Mammy lonely when the girlie is away so don’t forget try and write once a week home to save worry. If we did not think it was for your own benefit we would not punish ourselves by letting any of the family be from home. Even Willie has waited and waited for a message from you. He was most dissapointed when there was no special letter for him as well as the others.

Our Ada yelled and howled because she did not know how to write a letter to you she did her best so did Vincent and Peter I don’t know how you will manage them. I was going to write this afternoon  only I had the ironing to do. I could not leave it after Friday I washed on Tuesday but the drying hinders one so many days. Can you manage the ironing yet?

I don’t suppose there will be much. We are being careful and not making any more washing than we can help but I have washed each Tuesday so as not to get over faced. I tried naphtha dry soap for Willie’s overalls so used it for the lot I am not in a hurry to use it again it made such holes in my fingers. Mona does not come in much now, nor anybody only Jim Fenny calls for Willie. I have only been able to do a bit of shopping twice since you went away. One week Daddy did the work and last week Willie did it. We are not doing too bad with the work only the front has not been done. I can’t see it being done either this weather. The wind is awful, blows the pictures off the wall if the door is opened half an inch. I am glad you have had letters from your companions they will tell you the news of Farnworth and school which both you know I never know only what the children bring in.

Last week when I called at Grandma’s for a minute Auntie Nellie and her mother brought the baby to see her it is a lovely big fat girl very much like Uncle Gill, reminds me much of Aunt Hattie’s Gwen. Our Dorothy is going worse naughty I am think of putting her in trousers and jersey she is more like a boy than a girl. We have hardly any dishes left the way she keeps smashing them. It will soon be Christmas I won’t be sorry when it is over perhaps we will have a bit less rain. Jim Fenny is going to paper Harrison’s parlour and kitchen so he will be getting quite well off. I am just wondering what sort of a mess our Willie will be in when it is done for her is sure to be p??? over the scene. Dolly has only been twice since you were home we don’t give her fuss enough the sooner she get tired the better I say.

Well I will have to get the children ready for bed now so I will have to close, I have a stamp so you will perhaps get this on Saturday if it is posted tonight. Do your pinafores do you for alright and did you get fixed up for nighties alright I have been worrying about them so let me know. I have 29 in the sweep I wonder how I will get on. Ask Freddie when he is coming to Runcorn to that football match, is it before Christmas I ask our Dorothy where nanny is and she says pupper. Every day she says a new word. So no more now with fond love from Mam & Dad & all your loving mum

xxx Ada Lightfoot xx

 

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  ©Maria Walker http://maria-walker.co.uk/

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« Doesn’t a pussy cat even cry if one kitty is lost? Is not a Mammy lonely when the girlie is away? ».

Ada to Frances

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Isabelle Baudelet pour Text’styles, le 18 janvier 2018

 

Sources :

Je remercie chaleureusement Maria Walker et Angela Topping de m’avoir autorisée à utiliser leurs documents et d’avoir répondu à mes questions.

http://maria-walker.co.uk/

http://marieantoinettescorset.blogspot.fr/

https://angelatopping.wordpress.com/

http://dwtextilestories.blogspot.fr/2013/03/the-lightfoot-letters-poet.html

https://dwtextilestories.blogspot.fr/2013/03/the-lightfoot-letters.html

http://hippystitch.blogspot.fr/2016/07/maria-walker-lightfoot-letters.html