‘ Le jardin, c’est un tapis où le monde tout entier vient accomplir sa perfection symbolique, et le tapis, c’est une sorte de jardin mobile à travers l’espace. Le jardin, c’est la plus petite parcelle du monde et puis c’est la totalité du monde.’
Michel Foucault, Des espaces autres (1967), Hétérotopies.
Tapis persan représentant un chahar bagh 17ème/18ème siècle
Extrait du livre de l’extase executé pour le prince Salim, 17ème siècle SourceBNF
« L’hétérotopie a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel
plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles. C’est ainsi que le théâtre fait succéder sur le rectangle de la scène toute une série de lieux qui sont étrangers les uns aux autres; c’est ainsi que le cinéma est une très curieuse salle rectangulaire, au fond de laquelle, sur un écran à deux dimensions, on voit se projeter un espace à trois dimensions; mais peut-être est-ce que l’exemple le plus ancien de ces hétérotopies, en forme d’emplacements contradictoires, l’exemple le plus ancien, c’est peut-être le jardin. Il ne faut oublier que le jardin, étonnante création maintenant millénaire, avait en Orient des significations très profondes et comme superposées. Le jardin traditionnel des persans était un espace sacré qui devait réunir à l’intérieur de son rectangle quatre parties représentant les quatre parties du monde, avec un espace plus sacré encore que les autres qui était comme l’ombilic, le nombril du monde en son milieu, (c’est là qu’étaient la vasque et le jet d’eau); et toute la végétation du jardin devait se répartir dans cet espace, dans cette sorte de microcosme. Quant aux tapis, ils étaient, à l’origine, des reproductions de jardins. Le jardin, c’est un tapis où le monde tout entier vient accomplir sa perfection symbolique, et le tapis, c’est une sorte de jardin mobile à travers l’espace. Le jardin, c’est la plus petite parcelle du monde et puis c’est la totalité du monde. Le jardin, c’est, depuis le fond de l’Antiquité, une sorte d’hétérotopie heureuse et universalisante (de là nos jardins zoologiques). »
Michel Foucault. Des espaces autres (1967), Hétérotopies.
Tapis jardin 18ème siècle, V&A Museum
» Parallèlement au développement de l’artisanat nomade qui était celui du tapis, un autre art, sédentaire celui-ci, se développait. C’était l’art de faire des jardins ou « Pardis » en pahlavi, mot qui provient du mède « Paradaeza » et qui en persan, est devenu « Ferdows », « pardis » et « paliz », signifiant jardins, vergers, potagers et généralement toute surface couverte d’arbres et de plantes, et encloses par un mur. Ce fut probablement l’aridité des terres et les promesses de fertilité qu’elles offraient qui poussa ces nouveaux habitants du plateau iranien à intégrer la culture des terres dans leur civilisation, allant même jusqu’à lui donner une importante signification religieuse.
(…)
Ces jardins, ou bâghs tels qu’on les appelle toujours, furent souvent agencés selon une séparation quadripartite, nommée chahâr-bâgh, qui signifie « quatre jardins », et qui fut ordonnée par l’usage des canaux d’eau traversant le jardin, et par les espèces de plantes de chacun des quatre carrés. De plus, la division en quatre du jardin comportait une dimension symbolique de référence aux quatre éléments, bases de toute chose matérielle dans la pensée des Anciens. Outre cette référence, une seconde dimension mythique se rattachait à cette division. En effet, « selon de très anciennes traditions antérieures à l’islam, (dont on trouve des traces dans La Genèse), l’univers était divisé en quatre parties, séparées par quatre fleuves.«
in Le paradis et le tapis persan, Revue de téhéran, n° 33, Août 2008
Tapis avec un motif chahâr bâgh (quatre jardins), Azerbaïdjan (nord-ouest de l’Iran), début du XVIIIe siècle, Musée du Louvre.
Isabelle Baudelet pour Text’styles le 9 janvier 2018
Image à la une : tapis antique Bakhtiari
Jardin, paradis, eden.
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