17 Décembre 2017, à M sur m depuis 7 mois.
Il y a un an, le 16 décembre 2016, nous avions organisé un « moment Text’Styles » avec Christine Vandrisse, au Paravent à Roubaix. Un lieu, une artiste, des personnes à la rencontre, tout simplement. Marquant à la fois une fin et un commencement, nous lui avions donné le nom de « Point Vif » :
Le point, en couture, marque le commencement comme la fin. Lui aussi peut être serré, rentré, levé. Point arrière, avant, compté, clair, caché, coulé, cardant, coupé, croisé. Il provient d’Alençon, d’Argentan, d’Assise, de Dinant ou de Milan.Et parfois, quand il y a succession de boucles entrelacées, afin de relier les parties ajourées d’une broderie, on dit qu’il y a point d’esprit.Le point brode, recoud, renoue, reprend, répare.Blessure, coupure, éraflure, point de suture. Oui rapprocher les bords, les plaies écartelées, les tissus déchirés. Quand Apollinaire écrit en 1915 « Du coton dans les oreilles », il forme devant tant d’explosifs un « Point Vif ». Il meurt, deux jours avant l’armistice, le 9 novembre 1918, à 38 ans.
IB pour Point Vif
Christine Vandrisse avait accepté de présenter ce soir là en avant première son dernier livre d’artiste « Du coton dans les oreilles », d’après un calligramme de Guillaume Apollinaire/ éditions d’émérence.

Aussi, parce que le tissage continue, une navette s’imposait de Montreuil sur Mer à Saint Mard à la rencontre de ∞ ∞ XVII.
CARTOGRA-FIL
Les navettes sont des voyages, des allers et retours, des corps en mouvement, fils d’ histoires et reprises de conversations. Afin d’en préserver la trace, tel le tissu qui seul subsiste après les incessants va-et-vient de la navette sur le métier à tisser, j’ai souhaité faire le récit de ces rencontres, de ces liens qui se sont noués spontanément au coeur de mes explorationsText’Styles.
Se déplacer l’un vers l’autre, ce que l’on appelle « tisser un lien », c’est aussi inscrire dans l’espace un mouvement, telles la chaîne et la trame.
Ces mouvements forment une cartographie « text’styles », une CARTOGRA-FIL.
LE POINT DE DEPART
« Revenons au point de départ. C’est par là que je vais.
Chacun son point de départ. Chacun son livre magique. »
Hélène Cixous, Philippines, Prédelles, éditions Galilée, 2009
Le 13 SEPTembre 2017, j’ai franchi, par le pont, le fil de l’Aisne, et suivi la ligne de laine, la laine bleu horizon, déroulée par Christine Vandrisse.
« Bleu–de–roi comme les golfes méditerranéens
Veloutés de toutes les nuances du velours
Ou mauves encore ou bleu–horizon comme les autres
Ou déteints »
Chant de l’horizon en Champagne, Guillaume Apollinaire
Christine me faisait faire le voyage dans une région que je ne connaissais pas mais je savais qu’elle l’aimait et cela me suffisait. J’allais découvrir dans un lieu qui s’annonçait très beau, le résultat d’un immense travail commencé depuis deux ans. Ce jour là, le temps maussade me faisait de nouveau entrer dans le poème.
Ecoute s’il pleut…
Guillaume Apollinaire, Du coton dans les oreilles / © Typographie au plomb Christine Vandrisse
La pluie si tendre, la pluie si douce….
Sous la lune liquide des Flandres…
A l’agonie
Image du film d’Abel Gance, J’accuse
L’installation de Christine Vandrisse, labellisée Centenaire du Chemin des Dames avait lieu en l’église Saint-Médard à Saint-Mard dans l’Aisne, non loin du Chemin des Dames et du Bois des Buttes là où a été blessé Guillaume Apollinaire le 17 mars 1916.
Oui, les lieux étaient très beaux (une église classé fin XIème siècle/ Début XIII ème ) mais en haut du chemin, l’impasse était bien là et, par le travail de Christine, se rappelait à nous. Fil rouge. Rouge barbelés. L’émotion immédiate.Du silence.
Le silence des phonographes
Mitrailleuses des cinémas
Tout l’échelon là-bas piaffe
Fleurs de feu des lueurs-frimas
Puisque le canon avait soif
Allô la truie
Du coton dans les oreilles, Guillaume Appolinaire
Carte du bois de la Truie, Champagne 1915
Les draps, de lits, de linceuls ou bien d’hôpitaux, composaient les 72 stèles. Certains nous tendaient encore leurs jours de Venise.
Et je me souvenais bien de la définition du dictionnaire des textiles, Baum – Boyeldieu :
« Le jour n’est pas un point mais un vide de forme variée »
Le vide était bien là. Et accueillait les mots des lettres des soldats.
« Cher ami j’ai réussi à me procurer de l’encre et surtout une table. J’en profite pour t’envoyer de mes nouvelles. Je te dirai d’abord, pour ne plus y revenir, que ma santé est excellente.Je ne suis pas né dans du coton et la pluie et le froid ne me font rien… »



















Merci Isabelle pour ce joli récit qui me rappelle de belles rencontres qui demeureront dans l’avenir…
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