« Les survivances sont partout, elles se glissent dans chaque recoin de l’histoire- celle de l’art par exemple. Mais surtout elles agissent dans les rebuts de l’histoire, ces « haillons », ces « guenilles », ces « défroques », ces « lambeaux » dont Walter Benjamin, plus encore qu’Aby Warburg, fit l’objet de sa quête incessante, sa quête d’historien chiffonnier. »

Georges Didi-Huberman, Ninfa moderna, essai sur le drapé tombé, Collection Art et Artistes, Gallimard, 17-04-2002

Je contemplais les marines du musée de Berck, cette ville qui fût autrefois le plus grand port d’échouage de France , toute à ma surprise immédiate de me retrouver presqu’au grand air quelques minutes après être entrée dans un lieu fermé. J’étais en quête des tabliers bleus de l’Attente sur la plage de Marius Chambon (1909).

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Puis , comme cela arrive parfois, les pas lents de la marche contemplative s’arrêtent net : je venais de croiser La ramasseuse d’épaves.

 

dsc00611.jpgFrancis Tattegrain, La ramasseuse d’épaves,  musée de Berck, photo ©Ib le 16 juin 2017.

 

Son regard, dont je ne savais dire s’il croisait vraiment le mien, son fardeau en croix recouvert de tissus de la mer, ses pieds nus dans les dunes, tout cela semblait sortir de la toile, à moins que ce ne fut moi qui entrais dans le tableau, qui avais gravi la dune et m’approchais d’elle. Je restais longuement devant cette jeune femme, cette « passante », cette chiffonnière de la mer, représentée par Francis Tattegrain.  J’avais trouvé « mes » tabliers bleus, elle avait amassé toutes sortes de tissus abandonnés sur une épave.

 

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Nous nous trouvions  « en ce lieu du tableau qui n’est ni la plage ni déjà la ville« , comme le décrit Jean Le Boël, dans le livre qu’il lui consacre :  Une passante / La ramasseuse d’épave, Collection Ekphrasis, Editions Invenit, 2010 .

 

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8Une passante / La ramasseuse d’épaves, Jean Le Boël, Collection Ekphrasis, Editions Invenit, 2010

Je compris en observant la reproduction du tableau dans ce livre que La ramasseuse d’épaves de Berck sur mer, était en réalité une réplique. Celui décrit par Jean le Boël, « l’officiel », le tableau primé au salon de 1881, se trouve, lui, à Boulogne sur mer. La signature en bas à droite témoigne, parmi d’autres aspects, de différences notables. On peut y lire cet énigmatique message qui ne figure pas sur l’autre tableau : « Per saecula saecularum, Merci ». Et qui sait, peut-être peut-on y déceler quelques clefs pour un autre regard.

 

7photo ©Ib le 16 juin 2017. Berck sur mer

 

6 le retour des bateaux jean laverazziphoto ©Ib le 16 juin 2017. Berck sur mer

 

1.jpgTableau commenté par Jean le Boël Photo ©Ib le 12/10/17 Boulogne sur mer

 

42.jpgTableau de Boulogne, Château musée, Photo ©Ib le 12/10/17

 

2La cordelette du tableau de Boulogne

 

 

9.jpgLa cordelette du tableau de Berck

 

 

 

De tableau en tableau, en bonne place dans deux musées de B sur M, cette jeune passante remonte inlassablement de la plage des pièces de tissus, « sauvés » d’un naufrage, d’une épave, ceux qu’elle a saisis, qu’elle a pu emporter…. pour les siècles des siècles.

 

« De quel péril les phénomènes sont ils sauvés ? Pas seulement, et pas principalement du discrédit et du mépris dans lesquels  ils sont tombés mais de la catastrophe que représente une certaine façon de les transmettre en les « célébrant » comme « patrimoine ». – Ils sont sauvés lorsque l’on met en évidence chez eux la fêlure- Il y a une tradition qui est catastrophe. »

 

Le livre des passages, ou Paris, Capitale du XIXe siècle, Walter Benjamin,1939

 

 

« Le sauvetage s’accroche à la petite faille dans la catastrophe naturelle. »

 

 Charles Baudelaire, un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Walter Benjamin

Isabelle Baudelet pour Text’Styles, le 14 octobre 2017

 

 

Nota Bene :

J’ai trouvé dans les interstices d’un dossier de presse du musée de Berck indiquant pourtant « le retour de la ramasseuse d’épaves« , comme s’il n’y en avait qu’un, le nom possible du destinataire de la réplique

« ...ce sujet marquant le véritable début de la carrière du peintre
faisait obligatoirement partie des œuvres jugées importantes dont il réalisait une réplique destinée à son frère, le sculpteur Georges Tattegrain (1845 – 1916). »

Pour en savoir davantage sur le « pichou » et le gartiu » : http://confrerieduhareng.pagesperso-orange.fr/index_fichiers/Page385.htm

http://webmuseo.com/ws/musenor/app/collection/record/14744

 

Une troisième réplique, pas certaine que  Francis Tattegrain l’aurait appréciée,  figure désormais sur les murs de la ville de Boulogne sur mer qui elle aussi a son parcours « street art »….

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