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Jour de brume à Tournai

Arrivée place de la reine Astrid pour visiter le TAMAT, je souris de voir les fils d’araignée givrés sur le panneau indiquant la direction du musée de la tapisserie. Un petit regard vers la Grand Place, avant d’entrer: l’immense cathédrale de Tournai semble vaincue par le brouillard.

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La tête encore dans les brumes de la ville, mon regard est immédiatement attiré par une vitrine sous laquelle se trouve un morceau de papier portant une écriture et étrangement relié par un fil à un gant.

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« Nous soussignés Comte Alfred de Marchant et d’Ansembourg, chevalier d’honneur et de dévotion de l’ordre de Malte et son épouse née comtesse Ghislaine de Bousies, dame de la Croix Etoilée et Dame de l’ordre de Malte, certifions sur notre honneur que ce gant est bien celui qui a été trouvé dans le cercueil de feu S. A. François Charles de Velbruck lors de son exhumation faite à Liège le 9 novembre 1938 en présence des soussignés et de Monsieur de Froidcourt, procureur général du roi à Liège en 1938″

Signé De Froidcourt, le comte et la comtesse de Marchant et d’Ansembourg

Je ne connais aucun de ces personnages réunis ici,et ne vois aucune explication dans le musée concernant cette pièce étrange. Que faisaient ces comte et comtesse à l’exhumation d’un corps en novembre 1938 ? Qui était François Charles de Velbruck ?  Pourquoi son corps fut-il exhumé ? Que fait ce gant en dehors de sa tombe?

Mais la visite commence à peine..Je laisse, presque à regret, l’objet si solennellement authentifié pour découvrir l’exposition « Des vies, des fils », avec la sensation que ce gant à lui seul en illustrait le titre.

Devant de magnifiques jardins tissés j’oublie alors un peu « mon » gant.

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Verdure d’Audenarde

Mais juste avant la dernière salle, en voilà deux qui surgissent et me narguent.  Je les imagine commencer à pianoter d’impatience: « Alors, tu crois que tu vas trouver ? Cette histoire de gant c’est bizarre, n’est-ce pas ? Et en plus tu ne connais même pas François Charles de Velbruck ? Ah bravo, pour une historienne des jardins c’est pas très fort ! »

Pourquoi me parlent-ils de jardins ces deux là ?

Je préfère les laisser ricaner tous seuls, en me retenant, par politesse, de leur signifier qu’ils étaient tout fripés.

dsc08704Gants peau cousue, 1952

Le gant m’attendait toujours en bas, mais bouche cousue, pas plus causant que tout à l’heure. Je m’approche et contemple les jolies feuilles dessinées et les tulipes…

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Je me promets  de mener l’enquête en rentrant et de tirer au clair les fils de cette histoire.

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La voici partiellement reconstituée :

Alfred de Marchant et d’Ansembourg s’est marié à Bruxelles avec Ghislaine de Bousies le 6 juin 1911.

Ils demeuraient au château d’Hex à Limbourg.

Ce château fut d’abord la propriété de  François Charles de Velbruck , né en 1719, Prince Evêque de Liège de  1772 à 1784.

Et voici l’homme au gant retrouvé !

François-Charles de Velbruck choisit ce coin de Hesbaye pour y faire construire sa résidence de campagne.

Il est décédé dans ce château  en 1784.

A sa mort le domaine fut légué au fils de sa soeur, Joseph-Romain  de Marchant comte d’Ansembourg , qui en tant que légataire universel , hérita de la bibliothèque , des oeuvres d’art , du cabinet de curiosité .

C’est ainsi qu’Alfred de Marchant et d’Ansembourg, notre témoin, en hérita à son tour.

Monsieur de Froidcourt, procureur général du roi, présent lors de l’exhumation et de l’authentification du gant est l’auteur de plusieurs ouvrages historiques, centrés sur le XVIIIe siècle dans la Principauté de Liège dont notamment des essais sur le prince-évêque.

Pour en savoir un peu plus sur l’exhumation du prince évêque, je trouve une notice et quelques passages intéressants concernant Liège en 1938 :

« Le passé regorge d’événements ou de personnages historiques tombés dans l’oubli. Parfois, à l’occasion d’une date anniversaire ou d’une publication d’un historien, ceux-ci peuvent resurgir dans le présent, sans doute parce qu’ils parlent aux mentalités contemporaines. La commémoration est une célébration publique, révélatrice de la conception de l’histoire proposée par ceux qui la mettent en place.

Le nationalisme se renforce à la veille de la Seconde Guerre mondiale et Liège veut donner l’image d’une ville dynamique, active et sûre d’elle-même. Elle met ainsi en valeur et en images sa propre histoire nationale, pour nourrir l’identité liégeoise. Parmi les nombreuses activités et festivités proposées, défile cette année-là dans les rues de Liège un cortège historique. »

On commémore en 1938, Sébastien La Ruelle, un héros de la ville assassiné  au 17eme siècle.

« L’exhumation de la dépouille du prince-évêque de Liège François-Charles de Velbruck a lieu peu de temps après la commémoration La Ruelle.

Un journal catholique regrette amèrement le peu d’intérêt que l’événement suscite, comparé aux grandes manifestations qui ont ponctué le transfert des restes d’“un Liégeois célèbre, mais dont le rôle historique reste toujours discutable et discuté”. Par contre, le prince-évêque est “un des plus brillants hommes d’État des derniers siècles de la Principauté indépendante” et “doit être honoré comme un prince pacifique, apôtre constant de l’union entre tous ses sujets”, contrairement à d’autres héros de l’histoire liégeoise qui “se sont illustrés dans des guerres et des luttes intestines”. En outre, “sans avoir jamais rien eu d’un tribun de la démocratie il fut célébré cependant comme un héros de la liberté”. La Gazette de Liège affirme que Velbruck méritait d’autant plus de recevoir un hommage populaire. Conservateur, le quotidien catholique explique la relative indifférence des Liégeois à l’égard du souverain francophile par le simple fait que celui-ci a connu une mort beaucoup plus douce que Sébastien La Ruelle. »

Alfred de Marchant et d’Ansembourg  étant mort le 30 septembre 1944 , le gant a donc été retrouvé et authentifié entre 1939 et 1944. Mais a-t-il été perdu ? volé ? Qui l’a retrouvé ? L’autre gant est-il toujours dans la tombe du Prince évêque ?

Aujourd’hui le mausolée de François-Charles de Velbruck se trouve dans le cloître de la cathédrale de Liège

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En poursuivant les recherches, c’est sur un site consacré aux jardins que je trouve d’autres éléments concernant ce prince évêque dont il semblait si important d’authentifier le gant :

HEX LA GENESE D’UN JARDIN PRINCIER

« Le château d’Hex, ce site d’exception est aujourd’hui un des grands jardins belges. Son histoire est relatée à travers ce superbe ouvrage. La résidence d’été de Hex et son pavillon de chasse ont été construits à la fin du XVIIIe siècle par le prince-évêque, Charles-François de Velbruck (1719-1784), personnalité marquante de l’histoire de la principauté de Liège, humaniste éclairé, philosophe, politicien et grand protecteur des arts et des lettres. Séduit par la beauté des paysages, il réalisa ainsi la demeure de ses rêves avec un jardin à la française en même temps qu’un jardin anglais (connu pour être l’un des premiers aménagés sur le continent) »

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Et les Roses anciennes implantées par  François-Charles de Velbruck se nomment dentelles de Bruges, et dentelles de Bruxelles

Peut-être ce gant lui servait-il pour les cueillir…?

 

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G. Didi Huberman, Ninfa Moderna, Essai sur le drapé tombé.

 

Isabelle Baudelet pour Text Styles le 29 décembre 2016