« Shmattè est un mot d’argot yiddish (qui se prononce [shmatta]) et qui désigne un vieux chiffon, un tissu de peu de l’ordre du rebut. Ce mot vient du polonais szmata qui signifie le tissu déchiré, la loque mais aussi quelqu’un qui a les pieds tordus, qui ne marche pas droit ou encore un homme faible. »
« Ce que nous dit ce mot-tissu, c’est qu’une langue résiste à sa disparition, elle résiste à l’anéantissement.Dire shmattès c’est se dévoiler, c’est toucher le cœur d’une identité parfois bafouée, rejetée. » (2)
Michel Nedjar, ancien tailleur, crée des poupées de shmattès.
Petit-fils d’une chiffonnière des Puces, fils d’un tailleur, il fabrique, dès l’enfance, des poupées de chiffons qu’il enterre. La découverte de Nuit et Brouillard, d’Alain Resnais, agit sur lui comme une déflagration. Il s’identifie aux corps des victimes ; ses premières poupées, faites de tissus trouvés dans des poubelles, qu’il plonge dans l’eau, la boue, opèrent comme des rituels de renaissance. (3)
Michel Nedjar, 2005, poupée (avec objets du quotidien) sans titre | Paris St.-Martin, vêtements et matières mélangées, 49,5 cm © Michel Nedjar
Poupées des ténèbres : Les Poupées de Michel Nedjar [Film documentaire : première le 8 juin 2016 au Musée d’Art et d’Histoire du Judaȉsme, Paris] Film documentaire réalisé par Allen S. Weiss et Tom Rasky
» L’émotion de la pourriture. Le tissu pourri, le travail de la terre, la terre qui ronge, la moisissure. La poupée se transforme sans doute, dans la terre. Pour moi, il n’y a pas de frontière entre la pourriture et le contraire. J’ai besoin de toute une métamorphose »
CHUTES CISEAUX MACHINE A COUDRE FIL AIGUILLE
« Il a su transformer le tissu tombé, ce qu’on appelle les chutes, en œuvre d’art pour vivre sa propre vie avec tous ces morts sur lui. La Poupée vient comme un objet transformé avec ces rebuts laissés en restes dans l’atelier du père. Il a utilisé les mêmes instruments, la même matière, les tissus, les ciseaux, la machine à coudre, le fil et l’aiguille mais dans un autre atelier, là où l’on ne confectionne pas de beaux vêtements pour être un Mensch (un homme) comme la grand-mère voulait qu’il soit mais là où la mémoire travaille au plus fin l’ouvrage de vie qu’est l’œuvre plastique. Une œuvre pour rester en vie avec « tous ces morts sur moi » (2)
FER A REPASSER
« Le fer à repasser; c’est le seul outil qui me reste de mon ancien métier, tailleur. Le fer à repasser, très chaud, m’aide à mélanger les matières et à sécher le dessin. Je pose le fer à repasser directement sur la peinture. Il se produit des accidents et des choses impévues. La chaleur provoque des convulsions, la convulsion définitive. La matière devient vivante. »

Michel Nedjar – Paris, Belleville –
Acrylique, pastel, cire passés au fer sur carton exposition Présences MAHJ
« Il y a un moment pour tout
un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour se lamenter et un temps pour danser (…) un temps pour chercher et un temps pour perdre, un temps pour garder et un temps pour jeter, un temps pour déchirer et un temps pour coudre.. »
Ecclésiaste 3, 1-15
Sources :
1 France Culture :
Merci à l’aiguill-euse Marie France Dubromel
Les Talmudiques : S’exposer à l’art et au regard des poupées:
1/2 le goût du Shmattès 25/09/2016
Les Talmudiques : S’exposer à l’art et au regard des poupées :
2/2 les fils de la judéité 2/10/2016
2 Cairn Info :
Shmattès : la mémoire par le rebut, déchiré n’est pas perdu par Céline Masson
3 Site du Mahj exposition Présences
4 Colloque : Shmattès, la mémoire par le rebut, Route de soi, route de l’Un, 2004
Illustration en tête d’article
Michel Nedjar, Sans titre, 2008Tissu et paquet d’objets arrêtés, 38 × 43 × 48 cmCourtesy of the artist & Galerie Christian Berst, Paris
A SUIVRE 2017 MICHEL NEDJAR AU LAM de VILLENEUVE D’ASCQ
Belle découverte que celle de cet artiste, porteur de tant de détresses.
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Encore merci Isabelle, pour ces trouvailles textuelles, culturelles et iconographiques. Et je ne sais pas pourquoi cela me fait penser au si beau roman de Michal Govrin, Sur le vif, ou il est question de la soucca, l’humilité de la hutte primitive, comme symbole de réconciliation.
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